Christine de Danemark de Hans HOLBEIN
Posted by delapeinture on septembre 13, 2009 · 12 commentaires
1538,Londres, National Gallery.Huile sur bois, 179x82cm.
Un peintre allemand, qui, au terme d’un séjour en Suisse, se met au service du roi d’Angleterre, pour lequel il se rend en Flandre afin de réaliser le portrait d’une duchesse danoise, dont l’autorité s’exerce sur le duché de Milan : décidément, l’Europe humaniste du XVIe siècle préfigure notre géographie désormais sans frontière, et ce n’est d’ailleurs pas un hasard si le premier grand programme européen en matière d’éducation supérieure a choisi le nom d’Erasmus.
De fait, Holbein le Jeune, qui appartient justement au cercle des amis d’Erasme, se rattache naturellement à ces artistes représentatifs du courant humaniste, où la mobilité des hommes épouse celle des idées.
Mais c’est à une autre grande figure de l’humanisme, Thomas More, qu’Holbein doit sans doute son introduction dans le milieu londonien : Deux années d’exil (1526-1528), salutaire au regard des événements liés à la Réforme, puis, après un retour à Bâle, une longue période dans la capitale anglaise (1532-1543) où il trouve la protection influente de la ligue hanséatique, dont il multiplie les portraits de ses représentants, et bien sur, du roi lui-même.
Terrible privilège que de servir les intérêts d’Henri VIII (fig.1), surtout lorsqu’il s’agit d’aller peindre le portrait d’une future épouse ! Après Catherine d’Aragon, dont le mariage fut annulé, Anne Boleyn, décapitée, et Jeanne Seymour, décédée en couches, Henri VIII jette son dévolu sur une jeune veuve, alors duchesse de Milan : Christine de Danemark.
Fig.1.Portrait d’Henri VIII d’Holbein.1536,Madrid, Musée Thyssen-Bornemisza.
Il charge ainsi Holbein de se rendre à Bruxelles (mars 1538) afin de la rencontrer. Après l’envoi d’un dessin de son visage, le roi, aussitôt satisfait, ordonne la réalisation d’un portrait peint en pied. Mission délicate, parce qu’en l’occurrence, Christine ne manifeste aucun enthousiasme à l’idée d’épouser La Barbe Bleue… Sauf que pour Holbein, dont la pérennité de la collaboration avec son illustre protecteur dépend étroitement de l’entière satisfaction de celui-ci, il ne suffit pas d’exprimer son génie – étrange paradoxe des enjeux d’une peinture de cour – mais de rendre compte avec précision des charmes supposés de Christine. Holbein, peintre soumis aux nécessités de la neutralité, est-ce seulement envisageable?
Qu’il suffise de rappeler le fiasco ultérieur d’Anne de Clèves – autre portrait pour un autre mariage (fig.2)– qui marque la fin brutale d’Holbein en tant que peintre du roi, parce que l’ingéniosité et les artifices déployés par l’artiste ont fini par tromper l’appréciation du roi lui-même, au point de l’épouser sans l’avoir vue. De fait, celle qu’il qualifie de « grosse jument des Flandres » lorsqu’il la rencontre pour la première fois, demeure son épouse la plus éphémère, répudiée au bout de six mois.
Fig.2.Portrait d’Anne de Clèves d’Holbein.1538,Paris, Musée du Louvre.
Malgré une abondante littérature, complaisamment très diserte dès qu’il s’agit de la notion du temps dans la peinture, singulièrement, dans le portrait, et qui ne se lasse pas d’évoquer la fugacité de l’instant (vieux poncif qui rejoint invariablement celui de l’éternité !), un portrait peint, n’en déplaise à ces chimères, ne capture jamais son modèle dans l’instant. Il nous livre une succession d’instantanés, cristallisés dans la durée de son exécution. Et, au risque d’irriter les esprits éthérés, il faut sans cesse rappeler la prosaïque formule de Maurice Denis, pour qui un tableau c’est avant tout « une surface plane, recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Parce que le peintre demeure précisément soumis aux contingences des interactions permanentes de la matière avec l’espace et le temps, il recompose en une seule image des épisodes plus ou moins brefs, de postures, de visages ou de mains, alchimie plastique autant de la restitution du réel que de la réappropriation de segments de temps, dont l’ensemble constitue la matrice formelle de la psychologie de son modèle.
Tableau magistral par la rigoureuse économie des moyens, avec un support spatial et chromatique qui confine à l’abstraction. Surface où le noir jette son ombre sur le fond turquoise (malheureusement impossible à distinguer sur notre photo) mais également, surface littéralement éblouie par l’éclat des blancs de ce visage et de ces mains, chapelet insulaire de nacre et d’ivoire.
Il faut nous rendre à cette évidence : les portraits ont toujours une histoire intime, et toujours, celle-ci nous fera défaut.
Lors de la séance de pose, qui s’apparente à une étrange confrontation silencieuse, Christine, fixant Holbein du regard, ne cesse de voir Henri VIII, parce que dans cette géométrie du triangle, c’est bien l’absent qui impose de son autorité sans nuance les enjeux du portrait.
Que signifient cette bouche, dont le sourire, malgré la convenance, traduit un secret mépris pour son destinataire, et ce regard froid et déterminé (fig.3), sinon la marque implicite du refus? Regard distancié, corroboré par la position de ces bras, relevés sur l’abdomen, qui traduisent davantage une protection qu’une soumission.
Fig.3
Holbein, en représentant la main droite de la veuve avec l’auriculaire légèrement écarté, semble exprimer une certaine contrariété, du moins une évidente tension : celle d’une femme naturellement peu enthousiaste à la perspective d’épouser Henri VIII et qui ne craint pas, avec la connivence discrète de l’artiste, d’exposer ses réserves. Mais, puisqu’il s’agit d’une recomposition d’ensemble de la psychologie du personnage en constant rapport avec la fonction initiale du tableau, Holbein utilise la main gauche de Christine pour exprimer les vertus inhérentes à la future épouse : attente et retenue. Voyez l’auriculaire et l’annulaire repliés, tandis que le majeur et l’index semblent vouloir dompter l’autre main rebelle (fig.4).
Ces mains qui prolongent les intentions de ce visage de faïence, procèdent ainsi autant d’un code de convention que de sa transgression.
Fig.4
Dans quelle mesure le tableau d’Holbein a-t-il contribué à suspendre le projet matrimonial d’Henri VIII, qui avait, il est vrai, multiplié les démarches dans toute les cours d’Europe ? Que m’importe au fond le dessous des cartes : comme un enfant impatient de connaitre la fin de l’histoire, j’aime à penser que la princesse, plus rusée que Barbe Bleue, soit parvenue à sortir du terrible conte avant d’en subir les irréparables effets.
Mais nous avons aussi appris, depuis Théophile Gautier, à nous réjouir de la gratuité des images, désormais libérées de leur fonction première. Ces images, qui semblent prétendre à une existence autonome, agissent comme un stimulant sans cesse renouvelé de l’imaginaire et constituent désormais autant d’offrandes oniriques à nos regards.
Ainsi en est-il de la précieuse étoffe noire, dont les contours soyeux (fig.5) dessinent les échancrures d’un littoral chimérique, baigné d’eaux jaunies et limoneuses, géographie improbable d’une thébaïde équatoriale.
Fig.5
Classé dans 1500-1600, chronologie, Holbein, Peinture allemande · Tagged with Angleterre, Anne de Clèves, Barbe Bleue, Denis, Gautier, Henri VIII, Holbein, Humanisme, Portrait, Roi, Thomas More, visage
Ton texte au point de vue très personnel sur ce portrait par Holbein me donne envie d’aller voir l’original à la NG de Londres, que je n’avais auparavant jamais spécialement pris le temps de contempler. De la tête aux pieds, du regard défiant à ta belle remarque sur le dessin littoral du bas de la robe, tu rends à Christine sa dignité et à Holbein son génie. Superbe texte, François !
Merci ce pour commentaire enthousiaste,mon cher Tom Peeping!A propos des musées, c’est vrai que l’on aimerait finalement découvrir un tel tableau dans une collection provinciale plutôt que dans ces temples indigestes de la peinture comme le Louvre ou la National Gallery.Je conserve,par exemple, un souvenir inoubliable du chef-d’oeuvre de Rosso Fiorentino,La déposition de croix,dans la petite pinacothèque de Volterra.
Des mains qui se joignent en signe de protection sur le ventre et qui n’indiquent pas la moindre soumission… Cela me rappelle un tableau étudié de très près par le père qui en parla à sa fille! A quand (dans une toute autre catégorie) les pin-ups luisantes de Mel Ramos?
A très bientôt en effet,les pin ups de Mel Ramos, ma chère Constance!
Dans la région où j’habite j’ai la chance de trouver, le Christ mort de Holbein, ainsi que beaucoup de portraits peints par celui-ci, avant son départ définitif pour l’Angleterre.
Je prêterai toute mon attention à ma prochaine visite à la National Gallery, à ce portrait, en espérant qu’il ne se produira plus ce qui suit ….
http://elisabeth.blog.lemonde.fr/2008/11/22/musee-haut-suivi-de-bas-qui-devraient-occasionner-un-debat/
C’est vrai que l’on a plus de chance de voir un Holbein chez vous que dans ma ville de Nice!J’aimerais beaucoup écrire quelque chose sur ce Christ du Musée de Bâle, tableau littéralement saisissant.Il avait bouleversé Dostoïevski qui l’évoque dans son roman L’idiot.A bientôt, Elisabeth!
Très intéressant article sur une oeuvre que je ne connaissais pas. L’expression du visage est en effet des plus complexes et je retiens aussi la manche gauche de l’habit, laquelle est un sacré morceau de peinture! C’est tout l’habit qui est en fait superbement peint, et le détail du cordon me paraît admirable. Comme vous le soulignez, le contraste avec le blanc de la peau est, là encore, quelque chose de tout à fait réussi.
Merci de la découverte, François.
Nous évoquions ensemble Manet, partout célébré comme le peintre des noirs, des blancs et des verts.Il y a aussi Holbein!Hormis la finesse de l’approche psychologique, ce que l’on retient du tableau c’est une remarquable économie des couleurs.Restriction chromatique qui conduit finalement à une subtile harmonie, celle du renoncement.
Un grand de l’histoire de l’art n’est pas resté insensible à ce portrait : c’est Ernst Gombrich qui l’a même pris comme illustration pour la couverture de son livre « Ombres portées »- Éditions Gallimard, 1995.
Merci à l’espace-Holbein pour cette référence de Gombrich!Beau sujet en effet que celui de la représentation des ombres dans la peinture.
Mais lorsque l’on considère un tableau, il faut aussi garder à l’esprit une certaine forme de virginité.Un peu celle d’un découvreur, qui a oublié de lire pour seulement regarder.Mais n’est-ce pas là une illusion, comme dirait justement Gombrich?
Un grand merci pour ce excellent article et ces superbes photos
Amicalement
Gilles
Je découvre votre blog avec beaucoup de plaisir. Et cet article entre autres, très interessant, portraits superbes. Celui du roi est celui que je connais le mieux: nous vivons dans la même ville. Celui de Anne de Clèves me fascine, ça ne m’étonne pas que le roi ait voulu l’épouser en voyant ça! Pauvre Holbein, viré pour avoir fait un trop beau portrait…
Merci et à bientôt!